Comment écrire?



Theodor Adorno, dans un fragment de Minima moralia, aborde la question du style. Comment donc écrire? La question du style se pose, inévitablement, pour quiconque se met à écrire. Nous sommes souvent, moi le premier, tentés par la familiarité afin de bien se faire entendre, une proximité avec le lecteur que redoute Adorno.
"La rigueur et la pureté d'une écriture même extrêmement simple créent bien plus une impression de vide. La négligence qui entraîne à se laisser porter par le courant familier du langage passe pour le signe de la pertinence et du contact: on sait ce que l'on veut parce que l'on sait ce que veulent les autres. Considérer l'objet plutôt que la communication au moment où l'on s'exprime, éveille la suspicion: tout ce qui est spécifique, non emprunté à des schémas préexistants, paraît inconsidéré, symptôme d'excentricité, voire de confusion. La logique actuelle si fière de sa clarté a adopté naïvement cette notion pervertie du langage quotidien. Une expression vague permet à celui qui l'entend d'imaginer à peu près ce qui lui convient et ce que, de toute façon, il pense déjà. L'expression rigoureuse impose une compréhension sans équivoque, un effort conceptuel dont les hommes ont délibérément perdu l'habitude, et attend d'eux que, devant tout contenu, ils suspendent toutes les opinions reçues et, par conséquent, s'isolent, ce qu'ils refusent violemment. Seul ce qu'ils n'ont pas à comprendre leur paraît compréhensible; ce qui est réellement aliéné, le mot usé à force d'avoir servi, les touche parce qu'il leur est familier."
Adorno est-il vieux-jeu? Qu'importe. Ce qu'il dit sur la communication touche une question essentielle.
Adorno nous tend un miroir. Nous, sujets modernes, nous complaisons dans notre confort intellectuel à savoir "ce que, de toute façon, [on] pense déjà" et ce dont nous sommes de moins en moins capables, c'est-à-dire "l'effort conceptuel dont les hommes ont délibérément perdu l'habitude".

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